Laurent Cochet
Moscou/Vladivostock en Ducati Multistrada 1200 Enduro
Etape Kemerevo – Irkoutsk (1.070 km)
A l’issue de la seconde guerre mondiale, forcés d’abandonner certains territoires, les japonais auraient volontairement innoculé un virus aux nombreuses tiques qui peuplent la Russie. Banzaï ! Pourquoi je vous raconte ça ? Non, j’ai pas particulièrement envie d’une balade en forêt, mais moi aussi ce matin, j’ai fait banzaï. J’ai serré d’un coup sec mon bandeau sur le crâne, attaché mon casque, mis mes boules Quiès (signe que « Sawashié ») pour m’enquiller 1.070 km de Transsibérienne sous une météo crasse, mouillasse, salasse. Fallait pas que ça dure. Aujourd’hui, promis, pas une photo, pas un plan vidéo. Cligno, zig, zag au milieu des embouteillages, d’un geste sec et précis, je suis sorti vite de Krasnoîarsk. Je leur ai même pas laisse le temps de me calculer aux Russes. Fallait pas que ça dure. Sur la route, j’ai pas traîné non plus. Précis et efficace sur la poignée de gaz, tant pis pour la conso, je ferais un ravitaillement en vol. J’ai effacé tous les obstacles, les poussives Lada tout comme les massives Land Cruiser V8. Fallait pas que ça dure aujourd’hui. Dejà 180 bornes avalées, je vais faire péter un score. Jusqu’à ce que là, au loin, une forme bizarre… qui me ressemble. Mon double ! Je vais tellement vite que je me suis dédoublé, j’en suis sûr. Bah non. Y’avait bien deux sacoches, une paire de pneus de rechange, des autocollants partout, mais le style était moins vif. Un italien en goguette sur une allemande. Je double gentiment le type, qui sursaute, met un coup de casque et me ramarre aussitôt, agité de soubresauts et signes aussi multiples qu’incompréhensibles. Je m’arrête. Le gars en aurait pleuré de joie.. Mais quel con, c’est vrai, j’ai une plaque italienne sur ma Multi 1200 Enduro. Du coup, il croit que je suis collègue de nationalité. Alors, c’est vrai que je l’ai un peu douché froid en lui apprenant que j’étais français. Mais trop heureux de pouvoir enfin échanger avec quelqu’un dans son périple tout aussi solitaire que le mien, il m’a lancé un « next stop, faciamo amicci ! ». Bon, j’allais pas lui refuser une amitié sous prétexte que le compteur tournait. On s’est arrêté boire un coup et j’ai découvert un drôle de « coco ». Ou plus exactement « Coco on the Road – Giro del mondo in moto ». La cinquantaine, ras le bol de tout, l’envie de tout plaquer, sauf le monde qu’il lui fallait découvrir. Turquie, Iran, Ouzbékistan, Kazakstan, Russie, Mongolie, Japon, Nouvelle-Zélande, en solo …On s’est promis de se taguer sur internet (stupide vie moderne) et on est reparti. Lui mollo, moi gaz … jusqu’à mon crash du jour. Collision frontale entre deux caisses et un camion, les russes sont des fous au volant. J’suis passé sur le côté sans trop regarder, je suis reparti mollo, façon Coco. J’ai décidé de ne pas manger et de rouler régul’. Ou!, Irkoustk et sa banlieue interminable, mal éclairée, pleine de trous et de pluie qui mouille. Arrivée, 21h 30, soit 14 heures de meule. Ça c’est fait. Demain, je file sur l’ïle D’Okhlon m’offrir un peu de repos… Ha au fait, ça y est je suis devenu invisible. Au début non. A Moscou, je me suis même fait arrêter par un flic à la première ligne blanche que j’ai franchi. Mais depuis Moscou, soit 8.000 km, plus rien. Je vois des flics partout, des contrôles, des radars, mais moi rien. Ils ne me disent rien, ne me voient pas, ne me calculent pas. J’en ai déduit que j’étais devenu invisible. Ou alors c’est le KGB qui m’espionne. Ils me voient arriver au loin avec leurs jumelles et hop, quand je passe devant, ils font semblant d’être occupés pour me suivre dès que je suis passé. Relis les trois lignes précédentes avec une petite musique stressante et tu verras, ça fait flipper. Ou alors, je suis invisible, je sais pas, enfin je sais plus !
#globetrotter90